Tout étudiant en finance se voit apprendre la méthode dite des Discounted Cash Flows, auréolée d’une allure tout à fait scientifique, et d’équations issues d’un précepte simple : la valeur d’un actif correspond à l’espérance cumulée des revenus futurs qu’on en attend, actualisés pour tenir compte de leur éloignement et de leur risque de non occurrence.
Pourtant … la liste des catastrophes connues par des investisseurs ayant fondé leurs raisonnements sur les DCF est longue, et humiliante : Eurodisney, Eurotunnel, la vague des « .com » des années 1998 à 2000 – bien des cas où en réalité on a vendu un futur plutôt qu’un existant. Qu’une méthode censée valoriser le futur ait produit plusieurs centaines de milliards de pertes devrait interroger, non ?
Il suffit de se pencher sur cette méthode pour en comprendre les fantaisies désastreuses :
- Fondamentalement, elle fait quasi-abstraction de l’existant, pour ne se fonder que sur des données projetées. En 28 ans de carrière d’invstisseur, l’auteur n’a jamais vu un jeu de projections financières se réaliser dans une marge d’erreur raisonnable, malgré des due diligences approfondies. On se dit parfois qu’il faudrait interdire Excel dans le métier de l’investissement.
- Les modalités de la méthode elle-même sont étonnantes, quand on y réfléchit : on mélange dans l’utilisation de la formule des données futures (les cash-flows), des données instantanées (le taux sans risque à long terme), des données historiques (le Bêta, habituellement calculé sur des séries historiques de 6 à 36 mois), et des données totalement arbitraires pesant pourant très lourd (taux de croissance à l’infini). Quel galimatias … Pourquoi par exemple la mesure du risque sectoriel passée s’appliquerait elle aux cash flows futurs ? Particulièrement dans une période de disruption ? Ceux qui ont appliqué les paramètres de risque historiques à l’activité des pages jaunes dans tous les pays d’Europe ont connu des pertes considérables, par cette seule incohérence.
- Observez enfin ce paramètre de la croissance à l’infini. Une hypothèse raisonnable sur la croissance dans 10 ans d’une entreprise choisie aléatoirement est qu’elle suivra le PIB. En euros courants, naturellement. L’attente raisonnable sur l’inflation dans 10 ans est 2% (la BCE s’y emploie), et on peut supposer que le PIB progressera de 1% à 2% en volume. Sans le moindre génie du management, les cash flows devraient donc progresser de 3 à 4% par an. Utilisés dans un DCF, ces niveaux de croissance à long terme produisent des valorisations tellement énormes qu’ils ne sont en pratique pas utilisés (il est souvent retenu des taux entre 1 et 2% par an, soit moins que l’inflation)… Face à des résultats aberrants, on préfère remettre en cause des hypothèses macro-économiques raisonnables plutôt que les données micro-économiques de l’entreprise évaluée (cash-flows, risque), et la méthode elle-même.
Etonnant, n’est-ce pas ?
Louis Godron
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